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Extrait chapitre 1 de Liparis 312

Voici un premier (long) extrait de Liparis 312.

C'est encore une ébauche du brouillon de la version 1, il y a donc encore à peaufiner le style, la syntaxe, l'orthographe, etc. Mais il s'agit des toutes premières pages ; autrement dit le début du Chapitre 1... Pour la suite il faudra attendre...


" "Je ne peux pas croire que ce que nous avons vécu disparaisse un jour dans le néant.” François ne sait pas pourquoi cette phrase lui traversa l'esprit à ce moment-là. C'était une idée, un son, une lumière fulgurante et douce qui s'imposa lentement comme une évidence. Un peu comme la caresse du vent d'ouest le soir lorsque le soleil se couche et que les premières fraîcheurs de la nuit nous enveloppent paisiblement. Cela faisait plusieurs minutes qu'il attendait ainsi le bus 52 qui, tous les matins, l'amenait de sa triste banlieue vers le centre-ville. Vers son bureau de petit comptable au trente et unième étage d'une tour de verre et d'acier. Il se levait chaque jour à six heures précises ; ramené à la vie par le son grésillant d'un radio-réveil dont la coque en plastique, jadis blanche, avait jauni avec le temps. Seul un petit Mickey collé sur la lampe de chevet dont l'abat-jour rose avait blanchi, apportait un peu de couleur à ses matins ternes. Il avait soigneusement choisi le son qui devait le réveiller ; cela lui avait pris une bonne heure à passer d'onde en onde, de paroles en musiques. Il avait d'abord opté pour une émission d'information, mais ouvrir les yeux sur le plafond gris de sa chambre en entendant le compte rendu du dernier massacre en date ne l'aidait guère à vouloir se lever. Il avait donc fini par opter pour de la musique classique. Mozart c'est quand même mieux que le bruit des larmes ou le silence sanglant qui suit l'explosion d'une bombe. Son rituel matinal était toujours le même. Chaque lundi, il se préparait une casserole de café qu'il conservait toute la semaine en la recouvrant d'un antique couvercle en inox, et qu'il réchauffait chaque matin avant de remplir un vieux bol qu'il avait gagné il y a des années dans une tombola sur une fête foraine de passage. Un bol bleu avec l'effigie souriante d'une souris verte dont l'émail s'était depuis fêlé. Il avait lu que ce petit rongeur aux couleurs étranges était une référence à une chanson enfantine qu'il connaissait bien, comme tout le monde, et qui évoquait en vérité une scène de torture durant la Révolution française. Il n'a jamais su si c'était vrai, et peu lui importait du moment que son café était chaud. Puis il trouvait dans une vieille armoire bancale qu'il avait héritée d'une tante morte centenaire, un pantalon gris, une chemise blanche anonyme qu'il agrémentait, summum de l'extravagance, d'une cravate bleu marine carrelée de petits pavés roses. Il disposait ainsi de cinq tenues identiques, une pour chaque jour de la semaine. Le week-end, il ne sortait pas de chez lui, et osait affronter ce moment de liberté en restant nu, même l'hiver, préférant monter le chauffage que de renoncer à la sensation originelle de la vie sans règles et sans contrainte. C'était un célibataire endurci auquel il était difficile de donner un âge. Il commençait à se dégarnir au niveau du front, et ses tempes étaient blanches depuis quelques années déjà. Ceux qui le croisaient et parvenaient à lui accorder quelque attention lui donnaient une bonne cinquantaine d'années, plus proches des soixante… Ils ignoraient qu'il en avait en vérité quarante-cinq depuis quelques jours... Il portait l'âge et la rigueur de son métier sur son visage sans sourire depuis que, une quinzaine d'années plus tôt alors qu'il faisait une simple promenade en mer avec son épouse, sa petite fille, et un ami d'enfance qui avait un voilier dans le vieux port voisin, le navire avait chaviré sans qu'il ne sût jamais pourquoi… François l'avait vu sombrer sous ses yeux, alors qu'il avait été seul projeté à l'eau. Il avait appelé sa famille, hurlé malgré les vagues qui lui pénétraient la gorge. Le bruit effroyable d'un bateau avalé par l'océan fut son unique réponse ; il n'entendit ni un cri ni un appel au secours… En quelques minutes, il ne restait plus à la surface de l'eau que quelques objets dérisoires, une couverture, un coussin, et une bouée inutile. Il ne restait rien des siens. Depuis, il vivait seul dans son appartement trop grand. Il dormait dans ce qui fut la chambre de sa fille. Il n'y avait rien changé depuis le jour du drame ; ni la petite lampe Disney, ni même les étoiles fluorescentes qu'il avait collées au plafond le lendemain de la naissance ni les innombrables peluches qui s'entassaient désormais inutiles dans un coin de la pièce... Par contre, il avait refait ce qui avait été la chambre parentale. Il l'avait entièrement vidé dans le mois qui avait suivi le naufrage ; et des quatre murs vides, il en avait fait une bibliothèque. C'était son refuge. Son petit plaisir, son unique plaisir, c'était les nombreuses heures qu'il passait dans cette pièce dans laquelle il avait entassé des centaines de livres. Ils formaient des colonnes le long des murs. Des piles aussi hautes que ce que sa main pouvait atteindre. Avec le temps elles s'étaient multipliées, réduisant l'espace au minimum vital et enserrant un vieux fauteuil en cuir râpé et aux coutures déchirées, style années 50, qu'il avait trouvé un soir sur le trottoir devant chez lui… C'était là qu'il passait ses week-ends à tenter d'oublier. Ces empilements d'ouvrages le rassuraient, le réchauffaient. Ils étaient comme les immeubles d'une ville miniature qui se dressaient vers le plafond comme des buildings vers des cieux imaginaires, et leurs fenêtres étaient faites des noms des plus grands auteurs et de titres qui s'étalaient sur les tranches dont les marques de pliures témoignaient d'innombrables heures de lecture. En vérité il lisait depuis l'enfance; en devenant adulte, il avait simplement oublié, préférant la télévision, surtout les vieux films avec Maureen O'Hara dont il était secrètement amoureux. Mais ces films-là ne passaient jamais… Alors après l'accident, il avait laissé l'écran éteint quelque part dans un salon où il n'entrait plus, et s'était remis à lire et avait redécouvert ainsi "les secrets de la mer rouge" et répondue à "l'appel de la forêt". Jack London, Saint-Exupéry, Kipling étaient devenus ses amis. Puis Jules Verne le mena vers la science-fiction, et sa bibliothèque fut alors le refuge de Ray Bradbury, de Cliford D. Simak… Il avait besoin d'autres paysages, d'autres mondes pour oublier. Ainsi chaque matin, le rituel se répétait. A 6h53 il était à son arrêt de bus et attendait toujours à la même place, juste à gauche de l'enseigne portant le numéro de l'unique ligne de transport qui desservait les lieux. Face à lui, un vieux mur de parpaings lui offrait les œuvres de peintres de rue anonymes et nocturnes dont les couleurs étaient les seuls éléments à offrir un peu de gaieté à ce lieu sans vie. La mairie faisait parfois effacer ces offenses murales, ce qui ne manquait pas d'indigner François; mais ce n'était que pour quelques heures, la nuit suivante apportait à nouveau son lot de pigments bleus, jaunes, rouges ou verts qui transformaient la grisaille en d'irréels pâturages, en visages rieurs ou oiseaux s'envolant vers un ciel d'azur. François aimait les quelques minutes durant lesquelles, chaque matin, il oubliait un peu son existence sans vie en laissant son regard glisser sur ces fresques bariolées. Une nouvelle œuvre était née de la dernière nuit. Surgissant des flammes, un grand loup noir aux pupilles brûlantes semblait défier ceux qui le regardaient. L'ombre qu'il dessinait à ses pieds se transformait en une phrase étincelante de lumière : "Je suis vivant" Une femme vint prendre position à côté de François. Il ne connaissait pas son nom ni son âge, peut-être soixante-dix ans, et ne lui avait jamais adressé la parole. Pourtant, ils se rencontraient tous les jours en ce même endroit, à la même heure ; et ils restaient là, immobiles, quel que soit la météo, en s'offrant à peine un regard. C'était une femme qui tentait de garder une élégance démodée en faignant de croire qu'elle parvenait ainsi à rester un peu jeune, du moins du temps de sa jeunesse à elle. Un jean trop serré, des souliers au vernis craquelé, un chemisier dont les imprimés variaient avec les saisons… Le choix du chemisier était d'ailleurs ce qui avait d'abord attiré l'attention de François. Il avait remarqué que cette vieille dame s'affichait toujours en opposition avec la période de l'année ; un chemisier couvert de cerises en hiver, un autre uniformément gris au cœur de l'été. François ne pensait pas vraiment à elle, il l'oubliait aussitôt monté dans le bus, d'autant qu'il s'asseyait toujours à l'avant et elle à l'arrière et descendait avant lui ; mais quand elle arrivait, le matin, il avait pris le réflexe de poser son regard le chemisier du jour. Et ce jour-là, en ce début du mois de mars frileux, elle resplendissait enveloppée d'un vert émeraude vif, finement terminé au col par une légère dentelle. À cette heure-là, le bus avait rarement du retard. François, comme d'habitude laissa passer la vieille dame puis il alla s'asseoir à l'avant sur le premier fauteuil à la droite du chauffeur. Le trajet durait environ trente-cinq minutes. L'immense pare-brise offrait à François une vue dégagée sur la route, et il pouvait ainsi laisser son regard remonter les rues qui le menaient vers le centre-ville et le quartier d'affaires. Tout commençait par des voies un peu étroites, sinueuses et vides de sa banlieue grise, puis rapidement les boulevards aux lampadaires modernes s'emplissaient de voitures et de piétons pressés. L'itinéraire avait changé quelques mois plus tôt après qu'un violent incendie ait ravagé une partie d'un vieux quartier voué à la destruction près de l'ancien port. Avant cette catastrophe, le bus passait non loin du chantier et François appréciait d'en voir l'évolution jour après jour; mais depuis la route suivie avait été déviée pour s'en éloigner un peu plus et désormais les progrès des constructions n'étaient plus visibles. Seuls les journaux locaux affichaient parfois à la Une, une photographie de l'immense centre commercial qui grandissait à la place des ruines détruites par les flammes. Le bus déposait François à quelques mètres à peine de l'entrée de l'immeuble abritant son bureau, mais pas ce jour-là. Visible de loin, le trajet se terminait par une immense ligne droite, des gyrophares de police palpitaient au cœur de vagues de fumées blanches qui semblaient envelopper la base de la grande tour dont l'aspect lui parut soudainement si peu familier. On fit descendre les passagers deux arrêts plus tôt. François continua à pied, intrigué et inquiet par ce que pouvaient bien masquer ces volutes dont l'odeur acre, poussé par une légère brise, lui irritait la gorge. Il parvint ainsi à l'entrée de la vaste place qui s'étalait au pied de l'immeuble, mais un barrage de policiers en bloquait l'accès." (A suivre...)

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