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Un caniche sur le tarmac

Micro-nouvelle écrite pour répondre à un défi voulant que l'on écrive un court texte à partir d'une photographie. 

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— Tu crois qu’il va y arriver ?
— Je t’avoue que j’ai comme un doute. Cela fait quand même plus d’une heure qu’il n’a pas bougé.
— Oui… tu as raison. J’ai un doute moi aussi.


Les deux hommes échangèrent un regard dans lequel se lisait un fond de perplexité entremêlé à une légère dose de lassitude.


— C’est quand même la troisième fois cette semaine, dit le plus jeune des deux en glissant nonchalamment ses mains dans les poches de sa veste d’agent de piste.
— Ce n’est pas faute d’avoir signalé qu’il fallait faire attention au poids des passagers mais, c’est toujours pareil, nous les gars des pistes on ne nous écoute pas ; et maintenant tu vois le résultat…


A une dizaine de mètre au-dessus d’eux, un avion de ligne attendait ; immobile, suspendu dans les airs ; stoppé net en plein décollage. C’était pourtant un bel engin, presque neuf ; et pourtant, il était là, bloqué entre terre et ciel. Incapable de se décider à poursuivre sa route. Au sol, les deux hommes pouvaient voir les passagers leur faire des signes à travers les hublots.  


— Ils n’ont pas l’air stressé.
— C’est un vol intérieur, la plupart des passagers sont des habitués qui font l’aller et retour dans la journée… Ce n’est pas la première fois qu’ils rencontrent ce problème.


Le plus âgé des deux hommes adressa un signe de la main accompagné d’un petit sourire aux personnes qui lui faisaient signe depuis l’avion.


— Coucou ! Salut ! Ils le prennent bien quand même.
— Après tout… On offre le café à bord.
— Et une madeleine !
— Oui tu as raison. Ils sont mieux que nous finalement. Il commence à faire froid ici sur la piste.
— C’est vrai. Le soleil se couche, la fraicheur descend…
— C’est bien la seule chose qui descend, dit le plus jeune en riant.
— T’es con… commenta le plus vieux en s’efforçant de ne pas rire. Il n’empêche qu’il commence à faire froid. Peut-être que le pilote pourrait tenter de remettre les gaz, cela réchaufferait l’atmosphère ?


Il fit quelques pas en direction du cockpit et fit signe au pilote qui ouvrit sa fenêtre et passa la tête.


— Quoi ? demanda-t’il.
— Tu ne veux pas tenter de relancer les gaz ?
— Non, on est toujours trop lourd. On ne bougera pas.
— Pourquoi vous ne jetez pas plus de lest ?
— On a déjà viré les bagages, mais rien à faire. L’avion est juste assez léger pour décoller, mais toujours trop lourd pour s’envoler plus haut… Rien à faire. Il faut attendre, l’avion fini toujours par redescendre.
— Oui, mais là quand même ça dure… Tu ne veux pas jeter quelques passagers ?
— Les vieux ? Les gamins ? Le député ? proposa le plus jeune.
— On a fait un appel aux volontaires, mais personne n’est chaud, expliqua le pilote.
— Même pas le député ? Que des grandes gueules ces gens-là, toujours les derniers à montrer l’exemple… commenta le jeune.
—  Évidemment, si personne n’y met du sien… ajouta le vieux. Et si tu balance une hôtesse, je veux bien la réceptionner !
— Non, avec ce problème de poids, on a déjà réduit les effectifs. J’ai besoin de tout l’équipage. Mais, je suis en train de démonter quelques éléments techniques, cela devrait aider à nous alléger. J’ai bon espoir une fois terminé que l’avion reparte vers les nuages.
— Tu démontes quoi ?
— J’ai enlevé l’ordinateur de bord, nos fauteuils dans le cockpit, les gilets de sauvetage et là je démonte les roues, elles ne servent à rien quand on vole !
— Pas bête, que des trucs qui ne servent jamais, commenta le plus jeune.
— Je balance tout par les soutes quand on a terminé, continua le pilote. Ah, j’oubliai, on a trouvé un passager clandestin aussi. On balance !
— Bonne idée ! Cela devrait bien vous soulager !


Les deux hommes adressèrent un geste amical au pilote et se dirigèrent vers la trappe de soute arrière au pied de laquelle s’élevait déjà au sol une montagne de sacs et de valises. Après quelques minutes, la trappe s’ouvrit et ils aperçurent quelques membres d’équipage jeter sur le tarmac plusieurs équipements électroniques, gilets de sauvetage et les roues. Puis, malgré quelques protestations dans une langue inconnue, le passager clandestin qui s’écrasa sur le bitume en un bruit sec.


— Merde ! Ils pouvaient le jeter sur les bagages quand même, dit le plus vieux. C’est encore nous qui allons nettoyer le sang sur la piste. C’est toujours pareil avec les équipages, aucune considération pour les techniciens. La prochaine fois, moi je te le dis, je fais grève.
— Remarque, en ce moment, on n’a pas grand’ chose à faire…
— Pas une raison.


A ce moment-là, un vrombissement puissant ce fit entendre.


— P’tain ! Recule ! Il remet les gaz !


Un air chaud inonda l’atmosphère depuis les réacteurs. Toute la carlingue vibra… mais, l’avion ne bougea pas. Le sas central s’ouvrit alors et deux hommes en uniforme, les stewards, éjectèrent un curé aux cheveux gris et frisés et une bonne sœur en cornette qui, en s’écrasant au sol, firent le même bruit qu’une hostie que l’on brise à l’office.


— On les a surpris dans les toilettes alors que le signal d’obligation d’avoir la ceinture attachée était allumé ! commenta un des stewards.
— Rhoo ! Si même les religieux ne respectent plus les règles… protesta le plus jeune.


Soudain, l’avion fut pris d’un soubresaut. Les moteurs commencèrent à s’emballer puis, sans que l’équipage n’ait eu le temps de prévenir les deux hommes au sol, en quelques secondes il s’envola, gracieux, vers les cieux.


— Ah bien voilà ! Il suffisait de dégager le curé et sa bonne sœur !
— La religion tuera le monde, moi je te le dis.
— Oui, tu as raison ! Il faut prévenir les compagnies pour qu’elles interdisent le vol des religieux.
— Et des clandestins !
— Oui, aussi. Une bonne affiche avec toutes les interdictions, il n’y a rien de mieux.
— Et les caniches aussi !
— Pourquoi les caniches ?
— Je ne sais pas, le curé m’a fait penser à un caniche… Tout frisé…
— Ah ! Ok ! Pas bête. Ne prenons pas de risque ! Les caniches aussi.

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